Alors que l’on est en France sans nouvelles de Monsieur de Lapérouse et de son expédition autour du monde depuis 1788 (le mystère de sa disparition ne sera connu qu’à la fin des années 1820), l’illustre navigateur devient, sous la Révolution, une figure publique instable, ouverte à toutes les appropriations et apte à de multiples usages politiques, scientifiques et philosophiques. En s’appuyant sur l’étude d’un corpus de sources manuscrites et imprimées méconnues (fictions, mémoires, décrets, journaux français et anglais, correspondances), cet article montre que cette présence/absence n’a rien d’anecdotique. La figure de Lapérouse tient noués trois héritages de l’Ancien Régime : l’idéal d’une société ordonnée autour de figures glorieuses ; le projet d’expansion impériale qui nourrit la rivalité avec l’Angleterre ; la science des Lumières et son horizon cosmopolite. Leur rencontre culmine dans le thème du héros civilisateur sous le Directoire, qui unit les mondes et élargit les sphères du savoir au service du rayonnement de la nation, forme idéalisée que prend le rêve impérial français. Cette étude fait du personnage de Lapérouse un outil heuristique pour comprendre comment ces trois héritages ont été investis, subsumés puis redéfinis par la Révolution française. Partout la figure du héros révèle la présence, si difficile à répudier, de l’Ancien Régime au cœur de la modernité politique.